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La mouette
7 août 2018

JOZEF (2019 )

 

 

Capture

Chapitre 1

 

    Comme chaque année, le gala annuel de boxe organisé par Milo Roczavic promettait d'attirer un grand nombre de spectateurs. Auparavant ce diable de Milo fricotait avec les médias et n’hésitait pas à survendre des duels de moindre importance. Afin de s’en mettre plein les fouilles, il manœuvrait à la perfection les journalistes, la télévision, les spectateurs ainsi que les principaux acteurs : les boxeurs.

Le 10 janvier 1987, à 12h00 précises, Milo arriva sur son trente et un; costume paillettes et chaussures cirées, il mettait en lumière ce qu’il appelait un événement. Sous les applaudissements de la centaine de personnes présente pour le rituel de la pesée, les pugilistes montèrent sur la vieille balance à curseur. Une fois le poids annoncé par le délégué de la Fédération Slovaque, les athlètes s’affrontèrent du regard et les photographes du quotidien régional n’en perdirent pas une miette. Max, le journaliste, n’avait plus qu’à faire un article explosif pour vendre ce que les aficionados du noble art appelaient « une mascarade ».

Ancien champion des États-Unis, Tim Watson épousa Nadia, s'installa à Bratislava et eut quatre enfants. Connaissant les rouages du noble art, il donnait son avis à qui voulait l'entendre. Présent dans la brasserie de l’ancien international de football Mark Balovic, il commentait les duels avec insistance et moqueries, ce qui avait pour effet d’énerver Milo Roczavic. Si les néophytes n’y voyaient que du feu, Tim Watson se marrait bien et ses commentaires avaient pour effet d'exaspérer l’organisateur.

- Oh Milo ! Tu n’es pas à l’abattoir ici. Tu crois qu’on meurt de faim pour nous
ravitailler en viande grasse.
- Qui est-ce ? s’interrogea Mrazek, le Maire de Bratislava.

Personne ne répondit. Et l’américain continua de blablater.

- Demande à tes champions de mettre la pédale douce; les gars sont mariés, ils ont des enfants, lui proposa-t-il sur un ton ironique.

Les rires couvraient la voix de Milo, et il ne pouvait pas interrompre le one-man-show. Les membres de la fédération ainsi que les officiels étaient inquiets par les propos de Tim Watson qui ironisait sur le triste spectacle à venir.

- Tu ne vas pas faire des orphelins quand même ?

Mrazek ne pouvait laisser faire sans réagir. Il s’entretint avec l’organisateur et celui-ci réagit, tel un dictateur.

- Tu n’y connais rien ! Casse-toi, avant que ça ne se termine mal, menaça Milo.
- Je ne veux plus voir ce mec dans nos soirées, indiqua le Maire.

Pour garder une certaine crédibilité, il envoya ses colosses et lui fit regretter ses paroles déplacées. Après un laps de temps, le marchand de boxe présentait la fin de la manifestation qui n’avait plus la même saveur. La voix cassée, il appela Jozef Vokavic, 47 ans, qui, après 98 combats professionnels et son passage sur la balance, annonçait sa dernière confrontation. Un journaliste lui posa une question forcément attendue par l’intéressé.

- Pourquoi ne pas effectuer les 100 combats ?

En lâchant un regard vers Milo, il répondit :

- Plus la force ! Vingt-deux ans de carrière, ça laisse des traces. Il est temps de penser à ma famille.

C’était à présent au tour de la vedette, Milan Misko, invaincu en cinq combats. Affuté, il se présentait à quatre-vingt-douze kilos, alors que le vieux Jozef dépassait le quintal. Si Milan fit du théâtre dans sa jeunesse, il gardait un certain sens du spectacle et provoquait son adversaire. Mais, après plus de deux décennies de carrière, il en avait vu d’autres, « le » Jozef.

- Oh, mon gros, si je ne gagne pas avant le sixième round, je me fais moine et j’accepte la castration pour ne pas faire honte à ma descendance.

Les fans s’amusaient aux provocations de la jeune star. Jozef rejoignit la table pour s’offrir un repas déséquilibré en refusant les pâtes al dente et l’eau plate proposée par le chef italien Marcello. Il opta pour des frites et une entrecôte.

- Chef ! Tu ajoutes une corbeille de pain, de la mayo et du ketchup.

Avant même d’être servi de sa première commande, il lui demanda la carte des desserts et prit un flan à la noix de coco. N’ayant pas la réputation d’un homme généreux, Milo lui fit une remarque plus ou moins gênante.

- Tu me feras le plaisir de manger comme les autres ou tu paies ton repas...
- Vas-y ! Décompte de ma bourse, sinon tu vas avoir une attaque.
- Trente ans dans l’organisation ! Seul Dieu sait si je me suis endetté. Devine combien je perds pour cette soirée ?

Mentir comme un arracheur de dents était aussi l’une de ses qualités pour réussir dans les affaires.

- Raconte tes salades à qui tu veux, mais surtout pas à moi. J’ai traversé la planète avec toi, j’en ai vu des biftons et les miettes que tu nous donnais.

Pour son dernier combat, Jozef se permettait de le charrier.

- Avec mes miettes et beaucoup de souffrances, j’ai réussi à bâtir un foyer.
- Des miettes qui t’ont permis d’acheter ta maison, mon gars. Sans moi, tu n’aurais rien.
- Et toi, avec la souffrance des autres, n’as-tu pas une discothèque et des appartements ?


S'enrichir sur les ouvriers du ring et les presser comme des citrons étaient ses principales motivations. Quand il n’y avait plus de jus, il s’en séparait sans le moindre scrupule. Une véritable ordure ! Un proxénète qui se servait des rings comme des trottoirs. Dans l’arrière pièce de la brasserie, deux tables étaient installées pour accueillir les coachs, les boxeurs, les officiels ainsi que les élus. Ils parlaient des combats d’antan, dont le célèbre duel Hagler-Hearns en 1985 qui était dans toutes les bouches. Après le dessert et le café, le chef d’orchestre quitta la table et se rendit au gymnase pour une séance de brainstorming avec les bénévoles. A trente minutes des hostilités, la foule populaire étant entrée dans le vieux gymnase, les agents de sécurité, les maîtres-chiens et les bénévoles étaient en osmose afin que le concert se déroule sans fausse note. Les acteurs étaient prêts pour les simulations de combats et le boss s’installait comme un pacha, avec, en main, une coupe de champagne. Afin de ne pas laisser la classe mondaine de Bratislava s’impatienter, l’entrée VIP était ouverte avec trois agents pour les recevoir. Deux charmantes hôtesses étaient présentes pour accueillir les couples et deux escorts prenaient le relais pour les hommes seuls ou en quête d’aventure extra-conjugale. Accompagné d'une bimbo, Tommy Mrazek entra dans le vieux complexe sportif et le mielleux accourut aussitôt.

- Comment va mon spectateur préféré ?
- Cela dépendra du résultat, mon Milo..

Le filou ne manquait pas de répartie et son sens de l’adaptation était aussi l’une de ses qualités.

- Milan représentera le pays et notre ville dans le monde entier. Les chaines de télévision, les radios, les journaux vont se bousculer au portail, et forcément les dollars vont tomber...

Spécialiste du poker, Mrazek se servait souvent des règles de ce jeu. Bluffer à tout moment était son quotidien et il savait que la réciprocité était de mise chez ses interlocuteurs.

- N'oublie pas qu'une partie de ce pognon me revient. J'ai assez payé...

Milo resta calme et préféra ne rien ajouter sur le sujet car il savait qu’il n’avait rien investi de sa poche. A contrario de Mrazek, Milo ne connaissait pas le poker, mais il était un adversaire bien plus coriace qu’il n’y paraissait.

- Milan va vous impressionner par sa classe et sa puissance. Il est phénoménal !
- Ok pour ton champion et sa future carrière, mais au sujet du pognon, tu ne m'as pas répondu...

Là encore, le filou sortit la phrase magique.
- Ne vous inquiétez pas ! Milan, c'est votre retraite complémentaire.

Les gradins étaient pleins à craquer, la buvette aussi; ce qui fit le bonheur du filou mais provoqua l’inquiétude du politicien.

- Où sont les partenaires ?
- Ils arrivent, ne vous inquiétez pas !

- Marre de voir tous ces pouilleux. Suis-je à la soupe populaire ? Suis-je obligé de supporter la pauvreté de Bratislava ? Est-ce cela que je vais montrer à mes amis et connaissances ?

Jupe bien courte, et talons de vingt centimètres, la pin-up s’adressa à son compagnon du moment et ne répondit à aucune des questions. Venant d’un milieu populaire, elle n’était pas ravie de ses propos, mais fit semblant de rien.

- Patience, Mamour, la période des élections approche et tu as besoin d’eux pour être élu.

Des couples de bourgeois arrivaient, les hôtesses prenant les vestes des hommes et les manteaux des femmes. Les tables VIP se remplissaient, le politicien serrait des mains et son moral était à la hausse.

- Faire découvrir la beauté de ce sport à mes richissimes amis sera mieux que de leur faire sentir le côté médiocre de Bratislava. Qu’en penses-tu, Chérie ? dit-il en lui pinçant fortement sa cuisse.

Il savait qu’elle n’était pas de la haute société et aimait le lui rappeler pour la rabaisser au plus bas. C’était un jeu pour lui ! Elle était belle et élégante parce qu’il la rhabillait de la tête au pied; ça aussi il aimait le lui faire remarquer. La gente masculine ne restait pas insensible devant les jolies courbes de sa maitresse et ça lui procurait de fortes sensations, il était malade. Milo tournait de temps à autre autour des sponsors et arriva à la table du Maire comme un mielleux. Il n’eut pas le temps de s’exprimer.

- Évite de remplir les gradins avec les cas sociaux de la région. J’ai une réputation à tenir vis-à-vis de mes amis et de mes partenaires.

Milo ne répondit pas à la remarque et flatta son interlocuteur.

- Une soirée prestigieuse à vos côtés sera un plaisir; mais vous savez, Monsieur le Maire, il me faudrait plus de moyens pour satisfaire vos amis. Car eux, ne paient pas leurs places.

- Ne t’inquiète pas, vielle canaille, tu auras le pognon pour combler ce qui te manque.

De jeunes hôtesses sexy en tenue légère servirent le champagne. Mrazek remarqua une jeune call-girl ne semblant pas avoir atteint la majorité, ce qui ne l’empêcha pas de la scruter de bas en haut. Elle s’éloigna et revint immédiatement aux affaires courantes.

- Sais-tu si le Maire d'Helnek nous honore de sa présence ?
- Le journal le mentionne. Il va vite déchanter, l'bouseux ! Monsieur le Maire, en ce qui concerne la prochaine...

Mrazek lui coupa la parole.

- Je vais rendre visite à des amis qui n’auront pas d'autre choix que de mettre la main à la pâte.
- Vous êtes le boss ! Vous tenez ces gens par la gorge et j’aime votre autorité... Vous êtes un homme qui a du punch, de la volonté, qui veut créer des emplois et organiser des événements sportifs. Vous êtes la richesse de Bratislava !

Mrazek savait que beaucoup étaient prêts à lui lécher les pompes pour bénéficier de son aide, mais là, il avait affaire à un maître en la matière. N’imaginant pas une seule seconde en la sincérité du filou, il préféra répondre d’un ton ironique.

- Arrête de me passer de la pommade, dit-il en se frottant les mains.

Milo se trouva d'abord mal à l'aise, mais réagit de suite.
- Savez-vous que je suis adhérent à votre parti ?

A la question de son interlocuteur, le maire entreprit le blabla politicien.

- Il est bien d'avoir des hommes comme toi parmi mes électeurs, des braves gens prêts à se battre pour le bien du pays.

Milo s’éloigna et Mrazek lui fit un grand sourire, levant le pouce en sa direction. Avant de partir, l’organisateur jeta un regard vers les jambes de la bimbo et son décolleté plongeant qui ne passait pas inaperçu.

- As-tu vu ses yeux sur ton décolleté et tes jambes ?

Elle ne répondit pas à ses propos, restant souriante et ajouta :

- Je t’aime tellement.
- Mon argent n’y serait pas pour quelque chose ?
- Tais toi ! Tu vas dire des bêtises, mon choux.

Le président de la Fédération Slovaque, Andrei Nemek, âgé de 75 ans, se dirigea vers le Maire de Bratislava. Tommy se leva et sa bimbo fit de même. Le président lui baisa la main, la scruta, et le maire était presque en extase en observant cette scène

- Bien entouré, Monsieur le Maire. Comment s'appelle votre ravissante amie ?
- Sharon, répondit-elle.
- Joli prénom ! Vous avez un accent, vous êtes...
- Américaine et fière de ma nation.

Tommy se pencha à l'oreille du président.
- Voulez-vous un rancart avec la demoiselle ?


Il répondit par une question.

- N’est-ce pas votre amie du moment ?
- Ne vous inquiétez pas pour ça ! Dans la vie je n’ai pas d’amies, juste des connaissances plus ou moins sympathiques. Alors Président, j’arrange le coup ?

Le vieux veuf esquissa un sourire sans répondre, ce qui était positif pour les plans du Maire. Ce dernier s’adressa à Sharon assise à côté de lui.

- Serais-tu prête à coucher avec ce vieux machin pour une poignée de dollars ?
- Je vois que tu as de grandes mains. Si tu veux que je me tape le vieux, ce sera deux poignées, mon choux.
- Fais lui le grand jeu. Je veux qu’il soit fou de toi.
- Lui, va être fou de moi. Mais toi, tu vas en être malade.

Mrazek branchait sa maitresse du moment sur un bon coup.

- Sache que le vieux est veuf, qu’il dispose d’une belle fortune, qu’il n’a pas d’enfant et donc pas d’héritier. Sache également qu’à ton âge, il est préférable d’avoir un vieux mari riche qu’un jeune, beau et sans thune.

Sharon avait passé son enfance dans les bidonvilles de la Silicon Valley. Adolescente, elle rêvait de dépenser sans compter. Obtenir la confiance du septuagénaire pouvait être chose facile si elle y mettait du sien. Pour cela, elle devait lui faire croire de nouveau en l’amour afin de réussir ce qu’elle imaginait vingt ans plus tôt. Elle n’était pas novice dans ce genre de manipulation. Elle avait déjà vécu une telle expérience avec un quinquagénaire, soi-disant riche à millions. Le duo s’était installé dans une somptueuse villa de la capitale slovaque, mais le rêve de la jeune femme s’était terminé en un véritable cauchemar. Les voitures de police avaient débarqué en trombe pour arrêter le prince charmant qui était l’un des plus gros trafiquants de drogue de la région. Purgeant une peine de vingt ans de prison, il n’avait plus entendu la voix de sa dulcinée et lui promettait une mort certaine. En attendant, le gymnase était plein à craquer, les tables VIP aussi. Tout était prêt pour ce que Milo considérait déjà comme une réussite financière et médiatique.

        Milo prit la direction du vestiaire pour régler les derniers détails. Cigare à la bouche, il s’adressa à l’ouvrier du ring, tel un metteur en scène.

 - La foule, les sponsors, les journalistes ne doivent y voir que du feu. Tu fais briller le mannequin au maximum ! Est-ce que tu m'as compris ?
- Si tu ne me décomptes pas le repas de ma bourse, je te promets une éclatante victoire pour ta vedette en chocolat.

Assis sur un banc, les chaussures délassées, son coach lui fit un bandage à la va-vite. Comme il avait encore une petite faim, de l’autre main il sortit un mille-feuille et le mangea comme un goinfre.

- Tu vas t'étouffer pauvre con !
- T’inquiète pas pour ta vedette ! Je connais mon taf. Ta retraite complémentaire est assurée.

N’étant pas d’une probité parfaite, le coach d’un soir n’en avait rien à faire du vieux Jozef. Lui, voulait simplement son pourcentage, mais posa tout de même une question.

- Il doit faire combien de rounds ?
- Six minimum.

Milo s'approcha de Jozef, lui tapota l'épaule et se dirigea vers la porte du vestiaire. Avant de sortir, il esquissa un large sourire et se retourna.

- Si tu fais bien ton taf, tu auras une rallonge. C'est ton dernier concert, mon pote. Arrange-toi pour qu'il n'y est pas de fausse note. Encore deux ou trois combats, et ce balourd fera la chèvre pour un titre international à l'étranger.

Jozef se souvint de ses mensonges, dont celui lui promettant gloire et richesse. Il voulait répondre, mais préféra y renoncer avant d’être payé.

- Oh Milo !
- Oui.
- Non rien...

Jozef lassa ses chaussures, commença son échauffement et se concentra sur son dernier duel. Pas pour le gagner, mais pour jouer au mieux son dernier rôle et obtenir sa dernière bourse. Cette pourriture quitta le vestiaire et rejoignait la salle de boxe. Près du ring, il croisa l’un des principaux sponsors.

- Salut Milo ! Comment va notre futur champion ?
- Il pète la forme ! Vous avez investi sur un futur champion du monde des poids lourds. Il sera non seulement un grand champion, mais aussi un mythe pour la jeunesse, tel un Cassius Clay ou un Tyson.

- Peut-être des bruits de couloir, mais ça raconte que ton champion ne rencontre que des chèvres...

Comme à l’accoutumée, le filou répondit du tac au tac.

- T'as déjà vu un apprenti bâtir un pavillon sans avoir appris à faire les fondations ? Pour le champion, c'est la même chose. Tu ne peux lui demander de battre le champion du Monde sans qu'il ait d’abord battu des secondes zones. Malgré tout, je vais être franc avec toi, Vodkavic est le premier os.

- Rassure-moi, il va gagner...
- Les doigts dans le nez ! Arrête de croire les ragots ! Sur le bord des routes, tu vois souvent marquer « Jésus revient », l'as-tu vu ? Pourtant c'est écrit. Fais moi confiance et tu verras ! Excuse-moi l’ami, je vais voir comment le champion se porte.

Le corps brillant, Milan Misko s'échauffait. La porte du vestiaire s’ouvrit et la vedette s’arrêta soudain.

- Continue, champion, ne t’arrête pas pour moi. Tu entends comme les nanas hurlent ton nom. Tu es un Dieu pour elles...

Pattes d’ours en main, le coach le conseilla. Mais le boss n’allait pas laisser faire.

- Tu vas le coller et te battre comme un lion.
- N’écoute pas ce connard, le patron c’est moi ! Dans le coin, tu m’écoutes. Tu n’as qu’un souci, mec, c’est la victoire !

Comme s’il était son commis, il s’adressa au coach avec autorité.
- Tu es là pour lui donner à boire, pas pour ouvrir ta gueule.

L’entraîneur était choqué par ses propos. Milo partit ensuite dans un drôle de délire.

- Sais-tu que je suis en pourparlers pour te faire combattre au Caesar Palace ? Don King attend ta victoire pour m'envoyer le contrat.

Bouche bée, le boxeur n’avait pas de mot. Il croyait son monumental mensonge. Milo mimait les gestes d'Ali. Les hommes présents dans le vestiaire n’avaient jamais vu un tel acteur.

- Tu voles comme le papillon, tu piques comme l'abeille. Tu es beau ! Tu es grand ! Tu es rapide ! Je n'ai jamais vu un poids lourd avec cette classe.

Milan donnait des coups dans le vide avec conviction en poussant des petits cris comme s’il était Ali. Le plan fonctionnait à merveille.

- As-tu déjà vu un poids lourd de cette classe ?
- Heureusement que Tyson s’est retiré à l’heure...
- Je ne m’inquiète pas ! De toute façon, il est gras, il est lent, impossible de perdre face à ce balourd.

Dans la salle, la voix du speaker résonnait. La plupart des bourgeois étaient accoudés aux tables, le verre de champagne à la main. Les accompagnatrices, femmes ou maitresses, n’étaient pas des fans de boxe, mais plutôt de luxe. Jozef arriva dans la salle. Les sifflets retentissaient et il y avait énormément de bruit. La bimbo du Maire, mal à l’aise, ne pensait qu’à son possible héritage. Le président de la Fédération lui fit les yeux doux et elle, se pencha pour qu’il puisse voir sa généreuse poitrine. Jozef monta sur le ring, salua l'arbitre et regagna son coin. Il fixait Milo qui s’était placé à la sortie du vestiaire. Pour cette dernière, Jozef n’avait pas de stress, il était même détendu.

- Dans le coin bleu, il nous vient d'Helnek, il a un palmarès de 98 combats et n'a jamais été KO. Chez les amateurs, il a été 6 fois champion de Slovaquie et médaillé à plusieurs tournois internationaux. Il dispute aujourd’hui son dernier combat : Jozef Vodkavic...

Quand Milan arriva dans la salle, ce fut l’euphorie. Les applaudissements résonnèrent lorsque la vedette monta sur le ring. Son coach lui enleva le peignoir et enchaîna une série dans le vide pour impressionner le public et son adversaire.

- Dans le coin rouge, il est la vedette du Boxing Club de Bratislava, du team Roczavic. Il a 5 victoires, dont 5 par KO. Chez les amateurs, il a disputé 19 combats, 18 victoires et 1 nul. Champion de Slovaquie à deux reprises. Il devrait disputer prochainement son premier titre international chez les professionnel : Milan Misko...

 

La vedette du soir se présenta au milieu du ring et revint dans son coin. Il était surexcité et Milo l’encouragea.

- Tu peux y aller gamin ! Il n'écrase pas un pot de yaourt.

 

Dans son coin, Jozef restait statique, la tête basse. Milan sautillait et l'arbitre fit signe aux combattants de prendre le milieu du ring.

- Serrez-vous la main. Et que le meilleur gagne !

Les deux boxeurs retournèrent dans leur coin. Une round girl monta sur le ring. Un homme lui passa la pancarte annonçant le premier round. Elle se déhancha telle une femelle en chaleur. La cloche sonna et le duel commença. Milan prit le centre du ring et entama le round avec une série des deux mains. Le vieux boxeur ne répondait pas et se contentait de bloquer les coups. Milan recula, baissa les mains et nargua son adversaire. Il était très rapide pour un poids lourd et la salle jubilait. Non loin d'aller au tapis, Jozef trouva les ressources nécessaires pour rester debout. En homme de spectacle, le jeunot n’hésitait pas à le charrier.

- Je vais trop vite pour toi, gros lard...

Il allongeait ses bras et bougeait très vite. Il était bien meilleur que prévu. Pourtant, Jozef continua d'avancer, de bloquer sans remiser; mais il était secoué par les avalanches de Milan. Les spectateurs et les sponsors étaient ravis, sauf les journalistes présents à la table des officiels. L’un d’eux, baissa la tête pendant les durs échanges et écrivit sur sa feuille blanche : Misko dans la cour des grands. La cloche annonça la fin du premier round et le coach de Milan jubila.

- Avance dessus ! Il est touché. Donne plus de coups, il est mort. Il va tomber. Ne le lâche pas champion !

Dans le coin adverse, Roczavic était fatigué, ce qui n'enchanta pas Milo. Énervé, il se rendit dans le coin adverse et menaça le coach de Jozef.

- Dis bien à ton poulain que, s’il ne dépasse pas cinq rounds, je ne le paie pas ! Est-ce que tu m'as compris ?

Habitué à ce genre de magouilles, le coach ne comprenait pas son comportement.

- Dis plutôt au tien de ralentir...

Milo regagna son coin, poussa le coach et s'adressa à Milan en le bousculant.

- Tu attends quoi ? Si tu ne le descends pas maintenant, le public va s’apercevoir que c'est un mort. Tu me ridiculises ce bon à rien...

Le coach du vieux Jozef était dégoutté.

- Tu as entendu ce qu'il a dit ?
- J'ai entendu ! Je vais faire les cinq rounds.

La round girl monta sur le ring et continua de se déhancher pour annoncer le second round. La gente masculine était en furie.

- Cette demoiselle est Miss Slovaquie, annonça le speaker.

Les applaudissements des spectateurs retentissaient et pas mal étaient excités par la jeune fille.

- Enlève ta culotte ma jolie, lança un spectateur.

Dans le coin de Jozef, les idées étaient ailleurs.

- Encore deux rounds à tenir « gros ». Serre les dents, sinon ce fils de pute ne te paiera pas !
- T’inquiète pour ton pourcentage, coach. Tu l’auras ton pognon.

Le speaker annonça le second round et l'inattendu était au rendez-vous pour l’ouvrier du ring. Anna Vodkavic venait de s'installer au premier rang avec le fiston. A ses côtés, le Maire d'Helnek, Boris Gorcevicz ainsi que l’Abbé Martin. Jozef n’avait pas vu la présence des siens.

Milan continua le show, ridiculisa son adversaire et l'arbitre s'interposa.

- STOP ! Si vous ne respectez pas votre adversaire, je vous colle un avertissement. BOX !

Le Maire de Bratislava, sa compagne, les sponsors et les VIP avaient le sourire aux lèvres. Jozef prit énormément de coups. Anna ferma les yeux et le fiston mima des combinaisons. Le Maire d’Helnek baissa la tête. L’Abbé Martin fit un signe de croix, ce qui n’empêcha pas Milan d’enchainer les coups. Jozef recevait une belle correction et reçut un crochet gauche à la pointe du menton. Celui-ci l'envoya au tapis. L’arbitre compta pour le laisser récupérer, mais il se releva difficilement. Complétement sonné, après huit secondes, l’arbitre le laissa repartir. Sur une droite sèche, il retourna au sol. Pendant le compte de l’arbitre, il vit sa femme et son fils. Milan se jetta dessus pour le finir et la cloche annonça la fin du second round. Sur le tabouret, il regarda sa famille, mais aussi le Maire d'Helnek et l’Abbé Martin. Il se releva avant l’appel du speaker, jeta un regard vers sa femme et son enfant. Milo fit signe au coin de Jozef d’arrêter les dégâts.

- Prends une série et va au tapis. Tu seras compté 8 et tu restes au sol.

Le coach allait lui remettre le protège dent, mais Jozef l'interrompit pour lui annoncer une nouvelle inattendue.

- Je suis désolé, coach, mais ma femme et mon p'tit sont là ! Impossible de me coucher et perdre en trichant devant eux. « Cassius Clay » va devoir se battre comme un lion pour me coucher. Donne-moi mon protège dent...

Le coach était mal à l’aise. Milo, inquiet, ne comprenait pas ce qu'il se passait et n'arrivait pas à capter les informations du coin.

- Déconne pas Jozef, tu n'auras pas ta thune...
- La fierté de ma femme vaut bien plus que quelques couronnes. Le cinéma est terminé. S’il veut gagner, il va falloir me battre à la régulière.

La round girl monta sur le ring pour le troisième round. Devant la star montante, Jozef leva le poing droit ! Milo se tenait la tête, regarda le coach adverse qui avait le regard vide. Le vieux renard prit le centre du ring, bloqua et répondit aux attaques de Milan. Le front du marchand de boxe suinta, il l'essuya avec la serviette. Jozef toucha à plusieurs reprises la vedette et les trois quarts de la salle se mirent à changer d'avis. Ils tenaient dorénavant pour le futur retraité. Jozef ! Jozef ! Jozef ! La cloche annonça la fin de la 3eme reprise, Milan avait l'arcade et la pommette ouverte. Le coach essaya d'arrêter les saignements et plaça le fer en argent sur l’œil gauche gonflé de celui qui allait passer une mauvaise soirée. Le Maire de Bratislava était en colère tandis que celui d’Helnek avait le sourire. Anna, Stefan et l’Abbé Martin étaient ravis. La round girl monta sur le ring pour présenter le round quatre, Milo éjecta le coach et prit sa place.

- Tu me claques la honte devant tout le monde. Tu as intérêt à battre ce bon à rien...

Sans y croire, il hocha la tête. Les minettes ne criaient plus son nom et les banderoles étaient au sol. Des canettes volaient sur le ring et l'arbitre les rejetait en dehors. Bratislava pouvait voir un véritable combat et ça ne déplaisait pas au public. Milan se leva pour la quatrième reprise. Il était fatigué, mais ne voulait pas craquer. Jozef était survolté. Dès l’entame de la reprise, Jozef frappa, Milan tituba, mais courageusement garda les mains très hautes. Il se fit piquer au foie et se retrouva au sol, compté. Il regarda Milo. Il essaya tant bien que mal de se relever, mais l’arbitre interrompit les débats en mentionnant à l’organisateur ses excuses. Jozef se retourna vers sa famille, leva les bras au ciel. Le speaker annonça la décision sous les applaudissements du public qui ne s’attendait pas à voir gagner le vieux Jozef. Ce dernier se rendit dans le coin de l’adversaire et lui parla.

- Tu es un citron pour ce gars. Quand tu n'auras plus de jus, il va te jeter. Casse toi avant d'avoir des séquelles.

La tête basse, Milan sortit du ring et personne ne s’en occupa. Milo rejoignit Jozef dans son vestiaire et s'en prit à lui comme s’il en était encore la propriété. Le vainqueur du soir rejoignit son vestiaire et n’eut pas le temps de savourer sa victoire qu’il vit l’arnaqueur passer la porte.

- Tu n'auras pas un sou. La boxe, c'est terminé pour toi !
- C’était mon dernier combat...
- Si ta femme aime la misère, elle va être servie.
- Je vais te dire ce que je pense. Tu presses les boxeurs comme des citrons. Quand il n'y a plus de jus, tu les jettes. Tu es pire qu'un proxénète.
- Dans un ring, tu as un adversaire face à toi. Dans la rue, tu peux en avoir un, deux ou même une bande. Tu peux aussi avoir un accident qui laissera ta femme et ton fils sans ressource. J’ajoute que ta femme...

Il l'attrapa par le coup, le claqua contre la porte et devint persuasif.

- Si tu me menaces encore une fois, si tu t’en prends aux miens, je te jure que tes gorilles ne pourront rien pour toi.

- On va se calmer ! Comprends que j'ai perdu beaucoup dans cette soirée. Il me faut un peu de temps pour te verser ce que je te dois.
- Rien à foutre ! Tu te démerdes. Si je n'ai pas ma thune, je vais te briser les os.

Contre tout attente, il sortit de sa veste une enveloppe avec une liasse de billets.
- Vas-y, prends et fiche-moi le camp...

Milo sortit du vestiaire, croisa le Maire de Bratislava. Il n'était pas à l'aise.

- Un sacré champion ! Un sponsor sous ses godasses m'aurait fait gagner au moins un billet.
- Je suis désolé !
- Rien à foutre que tu sois désolé. Fais combattre ce guignol où tu veux afin de récupérer mon pognon.

Milo se rendit dans le vestiaire de Milan.

- Je m’excuse ! dit Milan la tête sous la serviette.
- Trop tard pour les regrets, gamin ! J'ai trouvé un moyen rapide de te remettre dans les classements mondiaux et rebondir sur la scène médiatique. Il va falloir combattre au plus vite...
- Merci Milo, tu es un père pour moi.
- Pas besoin de merci, mon fils. Tu sais, même le grand Ali a perdu et il est revenu. Quand il a perdu contre Frazier, combien pouvaient prétendre qu'il allait gagner la revanche ?

Personne ne répondait à sa question. Milo fit signe au coach de le suivre dans le couloir. A cet instant, Misko n’était pas bien, il sentait que son avenir était en jeu.

- J’ai un combat en France pour ce balourd. A toi de le persuader qu'il n'a pas eu de chance, que ce match va le relancer, enfin, du charabia pour qu'il accepte. Si vous y allez, je pourrais même te payer un surplus.
- Rien à foutre de lui ! Moi je veux mon pourcentage.
- Tu sais que la boxe ne m’a jamais rien apporté.
- Ne te fous pas de ma gueule. Trente ans que tu perds du pognon ? Je ne suis pas un de tes illettrés d'associés, tu ne me feras pas avaler tes salades.
- Calme toi ! voilà une avance.

La joie remplaça la colère.

- Oh Milo ! En France, s’il peut gagner, je laisse faire ?
- Prépare le bien ! S’il gagne en France, je me ferai un plaisir de retourner le cerveau à Mrazek pour lui vendre la revanche. Je peux lui faire avaler que c’était un accident de parcours. Malheureusement pour lui, s’il perd, il jouera les faire-valoir à travers le monde.

 


 

 

 

 

 

 

 

 

 

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